(D"B rend Mediapart gratuit) L’associé de Takieddine est recherché pour blanchiment

Publié le par das-baham

C’est le suspect introuvable de l’affaire Karachi. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire multiplient depuis un an les recherches pour tenter de localiser Abdul Rahman El Assir, 61 ans, principal bénéficiaire, avec Ziad Takieddine, de l’argent noir des ventes d’armes du gouvernement Balladur à l’Arabie saoudite et au Pakistan. Le ministère public spécial contre la corruption et la criminalité organisée de Madrid les a informés, fin novembre 2011, que l’homme d’affaires fait actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt international en vue de son « incarcération » émis par l’Espagne.

Diffusé sur la zone Schengen en date du 13 décembre 2009, ce mandat, toujours en vigueur, a été délivré par un tribunal de Madrid pour des délits « contre le trésor public et blanchiment de capitaux ». Cet hiver, les services de police espagnols ont effectué à Madrid, à la demande des juges français, plusieurs visites aux domiciles et au siège des sociétés de M. El Assir. En vain : les lieux ont été trouvés « inhabités » par les enquêteurs. 

 

El AssirEl Assir
Abdul Rahman El Assir est également« absent » de sa villa de Gstaad, en Suisse. Joint dans un palace de Genève, où il a l’habitude de résider secrètement, M. El Assir n’a pas donné suite aux sollicitations de Mediapart, après un bref contact téléphonique. Le “mandat Schengen” qui pèse sur lui est, de fait, exécutable en Suisse…

 

Mais l'homme d'affaires pourrait, dans ses déplacements, disposer de plusieurs sauf-conduits. Selon l’une des notes des services secrets extérieurs français, la DGSE, figurant au dossier d’instruction, il disposait, déjà en 1996, « de plusieurs passeports tous délivrés en son nom : un passeport marocain, un passeport libanais et un passeport diplomatique somalien ».

A l’époque des ventes d’armes opérées par le gouvernement Balladur (1993-95), M. El Assir négociait aux côtés de Ziad Takieddine avec les officiels de la Direction des constructions navales (DCN) et de l’office d’armement Sofresa la vente des sous-marins au Pakistan et des frégates à l’Arabie.

Selon l’enquête des juges, il est le bénéficiaire économique de trois sociétés – Tesmar, Rabor et Mercor  qui ont reçu les commissions les plus importantes. Les sociétés de M. Takieddine n’ayant reçu des fonds qu’en deuxième ligne, sur la part obtenue par M. El Assir. Ce dernier devrait donc être automatiquement mis en examen pour« recel d’abus de biens sociaux », comme l’a été M. Takieddine dans l’affaire.

 

Janvier 1987.Janvier 1987.
Né en 1950, à Beyrouth, Abdul Rahman El Assir a dirigé dans les années 1980 l’antenne madrilène de Triad, le groupe d’Adnan Khashoggi, l’intermédiaire le plus riche du monde (ci-contre en une du Time), dont il avait épousé la sœur, Samira. « Adnan Khashoggi, qui connaissait très bien le roi, l’avait présenté à toute l’Espagne », explique à Mediapart, sous couvert d’anonymat, un homme d’affaires, bon connaisseur du dossier.

 

Après son remariage, El Assir s’éloigne de Khashoggi, mais il reste proche des dirigeants socialistes espagnols alors au pouvoir. Il obtient ainsi de Institut national de l’industrie une commission de 20 % sur d’importantes ventes d’armes au Maroc.

 

Ce que savait la DGSE

Une légende noire, connue des autorités françaises de longue date, entoure le personnage. En 1992, l’un de ses associés égyptiens meurt, la tête coincée dans une porte de garage. La DGSE en a aussi récapitulé certains épisodes, glanés auprès des services spéciaux alliés.

Dans une note, datée du 21 octobre 1996 (voir ci-dessous), retrouvée en avril dans les bureaux de la Sofresa, la DGSE signalait que – de source diplomatique italienne  l’une de ses sociétés« pourrait servir de prête-nom » à son frère dans « des activités illégales (ventes d’armes et de drogues en particulier) ». En 1991, le poste de la CIA à Rabat, au Maroc, le soupçonne également « de se livrer à des activités de blanchiment de capitaux ».

 

 

Selon la DGSE, les sociétés d’armement françaises Dassault, Matra et Thomson, mais également l’office d’armement Sofma, avaient déjà utilisé à la fin des années 1980 les services de M. El Assir. En particulier au sujet de la vente de Mirages 2000 et de blindés AMX au Pérou et au Maroc. Le marché des Mirages le place d’ailleurs au cœur de l’enquête ouverte contre l’ancien président péruvien Alan Garcia.

Ses liens avec José Maria Aznar – l’un de ses meilleurs amis est marié à une fille d’Aznar – et son amitié pour le roi d’Espagne l’auraient longtemps protégé. En 2004, le quotidien El Mundosignalait qu’El Assir avait rejoint Juan Carlos à une partie de chasse en Hongrie. Finalement, El Assir a été mis en cause, en 2008, dans l’enquête sur la déconfiture du Banco Portugues de Negocios, à travers laquelle il aurait détourné 42 millions d’euros.

 

El Assir (à g.) et Mussalam (à d.)El Assir (à g.) et Mussalam (à d.)© dr
« C’est M. El Assir qui a mis Ziad (Takieddine, NDLR) dans le circuit de ces contrats avec l’Arabie saoudite », a expliqué Nicola Johnson, l’ex-femme de M. Takieddine, aux juges. De fait, M. El Assir lui a présenté d’un côté un dignitaire saoudien, Ali Ben Mussalam, et, de l’autre, M. Ali Zardari, l’époux de Benazir Bhutto, ancien premier ministre du Pakistan. Deux hommes qui vont leur servir de tremplin auprès des autorités françaises.

 

« En mars ou en avril 1993, je prends l’avion de Nice à Genève, a raconté M. Takieddine aux juges, le 5 octobre. Je reconnais un ami de lycée que je n’avais pas vu depuis vingt ans, El Assir. Il avait épousé Samira Khashoggi, la sœur d’Adnan Khashoggi. Ils étaient très riches. J’avais appris que son mariage s’était mal terminé et que sa femme s’était suicidée. Il avait ensuite épousé la fille d’un ambassadeur d’Espagne. Je lui ai expliqué que je cherchais du travail. Il m’a dit qu’il était entre la Suisse et Madrid. Il me tenait le langage de quelqu’un qui voulait impressionner : il avait un bateau, il habitait à Gstaad, il avait des relations importantes en Arabie saoudite dont le Cheik Ali Ben Mussalem, ministre d’Etat et conseiller du Roi. »

54 millions d'euros détournés

C’est le trio formé par El Assir, Takieddine et Ben Mussalam (décédé en 2004 en Suisse) que les industriels français vont généreusement rémunérer. Ziad Takieddine, dans ce trio, apporte ses liens politiques français et son introduction auprès du ministre de la défense François Léotard, qu’il a connu via l’ancien maire de Nice, Jacques Médecin.

Grâce au gouvernement Balladur, les trois sociétés Rabor, Tesmar et Mercor de M. El Assir percevront, en 1994 et 1995, quelque 54 millions d’euros de commissions, sur un total de 82,6 millions jugées illégales par les juges. Une partie de ces sommes sera ensuite redistribuée à Ziad Takieddine. Les enquêteurs tentent de déterminer si cet argent a pu, par ricochet, alimenter des hommes politiques français, à commencer par la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.

De fait, plus de 32 millions d’euros de commissions occultes ont été versés, dans des conditions inhabituelles, au réseau Takieddine/El Assir avant le premier tour de l’élection présidentielle. Et commeMediapart l’a déjà racontél’essentiel de cet argent provient du contrat des sous-marins Agosta vendus au Pakistan.

 

Ziad TakieddineZiad Takieddine© (dr.)

 

Deux anciens responsables de la DCN, Gérard-Philippe Menayas et Emmanuel Aris, qui avaient été au cœur des négociations, ont notamment révélé à la justice l’existence d’une rencontre au domicile parisien de M. El Assir, avenue Henri-Martin, au printemps 1994.

Durant ce rendez-vous, MM. Takieddine et El Assir, qui venaient d’être « imposés » dans le contrat pakistanais par le ministère de la défense, avaient demandé aux industriels de toucher 100 % de leurs commissions immédiatement. Du jamais vu. Les hommes de la DCN obtiendront de ne leur verser “que” 85 %... «La rencontre a été assez froide, brève. M. El Assir m’a demandé d’avoir plus de souplesse avec M. Takieddine dans mon attitude», s’est souvenu Emmanuel Aris sur procès-verbal.

« C’est à cette époque (fin 1993-début 1994, NDLR) que Ziad s’est déplacé avec M. El Assir à Islamabad voir Benazir Bhutto et son mari, a quant à elle expliqué fin août 2011 Nicola Johnson devant les policiers. Personnellement, j’ai rencontré M. Zardari sur le yacht que M. El Assir avait loué, dans le courant de l’été 1994. Ce bateau était à Antibes, il s’appelait le Rosen Kavalier. »

Aujourd’hui, Ziad Takieddine s’estime injustement poursuivi pour son rôle dans les ventes d’armes au Pakistan. « Je suis une proie beaucoup plus facile à atteindre que M. El Assir », a-t-il déploré dans le cabinet du juge Van Ruymbeke.

 

Des amis chefs d'Etat

La proximité d’Abdul Rahman El Assir avec M. Zardari, actuel président du Pakistan, où il est surnommé «Monsieur 10 %» à cause des nombreuses affaires de corruption qu’il traîne derrière lui, est de notoriété publique et… judiciaire. Au milieu des années 1990, après le départ du gouvernement du clan Bhutto, de nombreuses enquêtes ont en effet été ouvertes dans plusieurs pays, en Suisse et en Angleterre notamment, sur les pratiques financières de l’ancien premier ministre et de son mari.

 

Asif Ali ZardariAsif Ali Zardari© Reuters

 

Des juges anglais sont parvenus à établir, documents bancaires à l’appui de leurs investigations, que M. El Assir a été en 1994-95 l’un des principaux bailleurs de fonds de l’actuel chef de l’Etat pakistanais. Plusieurs millions de dollars provenant de l’un de ses comptes à la Citybank de New York ont ainsi été découverts sur des comptes suisses détenus par le couple Bhutto-Zardari. Selon les conclusions de la justice britannique, cet argent, qui a transité par une société offshore (la Bomer Finance Inc.), est le produit de la « corruption » et de « commissions occultes ».

A la faveur des grands marchés du gouvernement Balladur, Takieddine et El Assir renforcent leurs liens dans une pure logique de clan. Le maître d’hôtel salarié de M. El Assir – précédemment au service de M. Khashoggi… , Alain F., est recruté par M. Takieddine pour figurer comme prête-nom de la société propriétaire de son appartement à Paris.

« En 1993, dans l’appartement de M. El Assir, j’ai rencontré pour la première fois M. Takieddine qui venait lui rendre visite. M. Takieddine m’a dit qu’il souhaitait que je lui trouve un appartement sur Paris car il habitait sur la Côte d’Azur, a indiqué Alain F. aux policiers. Il a trouvé par lui-même la location d’un appartement rue Raymond-Poincaré. Ensuite, il m’a demandé de lui trouver des extras, puis un cuisinier. »

Plus tard, M. Takieddine lui annonce que « le groupe », allusion à son association avec El Assir, allait devoir acheter un appartement dans le secteur. « J’ai appris qu’il s’installait avenue Georges-Mandel à 400 mètres de chez M. El Assir. M. El Assir m’a dit que je pouvais également m’occuper des travaux de l’avenue Georges-Mandel. » Le prix d’achat de la propriété de M. Takieddine est de 1,8 million d'euros. Les travaux quant à eux coûtent 6 millions d’euros. Le maître d’hôtel n’est pas rémunéré mais Takieddine lui offre en compensation son 4×4 Mercedes ML 320.

Les liens de Ziad Takieddine et de son puissant associé Abdul Rahman El Assir vont se maintenir après les bonnes affaires du gouvernement Balladur. En avril 2004, M. Takieddine est en vacances aux îles Moustiques avec sa femme dans une résidence de luxe, baptisée Shogun, propriété de son associé El Assir, lorsqu'il est victime d’un accident de voiture suspect, qui pourrait avoir été une tentative d’assassinat.

Parallèlement aux recherches destinées à localiser Abdul Rahman El Assir, les enquêteurs ont été chargés d'identifier ses biens en France. Des vérifications ont été réalisées dernièrement sur son appartement de l’avenue Henri-Martin, à Paris : le six-pièces en question était devenu la propriété d’une société basée aux île Vierges, Fallway Group Holding… A Saint-Jean-Cap-Ferrat, les juges ont également tenté de saisir une immense villa qu'ils soupçonnaient d'appartenir à son patrimoine caché. Mais une société étrangère, domiciliée à Chypre, s'est opposée à cette mesure et en a obtenu la mainlevée.

 

 

 

Source: Mediapart

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article