Faire plier Poutine sur la Syrie ? L’Occident cherche la martingale

Publié le par das-baham

 

Une fois de plus, voilà les diplomates et les responsables européens réduits au jeu des devinettes, des supputations et des espoirs hasardeux. Et si Vladimir Poutine, de nouveau à la présidence de la Russie, décidait d’abandonner une politique de soutien acharné au régime criminel du Syrien Bachar al-Assad ? Et si une inflexion russe permettait d’entrevoir une issue à la révolution syrienne autre que celle d’un écrasement dans le sang ?

C’est l’espoir mesuré des Européens : non pas faire plier Vladimir Poutine, personnage retors et orgueilleux s’il en est, mais l’encourager à sortir la tête haute d’une crise syrienne où le président russe a tout à perdre sur le long terme. C’est ce qu'ont tenté, ce vendredi, Angela Merkel et François Hollande, tandis que plusieurs manifestations ont eu lieu à Paris pour protester contre la venue du président russe. Et la tentative de persuasion devrait se poursuivre ce week-end à l’occasion d’un sommet Union européenne/Russie qui se tient à Saint-Pétersbourg.

Manifestation de Reporters sans frontières, vendredi après-midi, à Paris contre la venue de Vladimir Poutine.Manifestation de Reporters sans frontières, vendredi après-midi, à Paris contre la venue de Vladimir Poutine.© Vincent Truffy

Les premiers signaux adressés par Vladimir Poutine, désormais au pouvoir depuis treize ans (et pour encore six, voire douze années), relèvent plutôt d’une traditionnelle diplomatie bouledogue soviétique. Outre le fait d’avoir boudé à la mi-mai le sommet du G8 aux États-Unis, Vladimir Poutine a, depuis son entrée en fonction pour ce troisième mandat présidentiel, multiplié les signes de raidissement.

Avant sa première rencontre avec François Hollande, ce vendredi soir, Vladimir Poutine a fait une brève halte à Berlin pour une rencontre a minima avec Angela Merkel. Il s'est montré plus aimable, assurant, aux côtés de la chancelière, qu'il appuyait « une solution politique » et soutenait la mission de Kofi Annan, pour mieux affirmer qu'on ne pouvait « rien faire par la force ».

Le message a été répété à Paris, tandis que François Hollande se montrait nettement plus ferme. Le président français a rappelé sèchement la position française : « Le régime de Bachar Al-Assad s'est conduit de manière inacceptable, intolérable. Il a commis des actes qui le disqualifientIl n'y aura de sortie possible de cette situation qu'avec le départ de Bachar Al-Assad », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse commune avec son homologue russe, à l'issue d'un dîner de travail. Vladimir Poutine a laissé dire, préférant noter que, tout en étant favorable à des sanctions et à des pressions sur le régime, il doutait très fortement de telles mesures,« loin d'être toujours efficaces ». Dès lors, le président russe n'avait guère de propositions à faire, sauf à dénoncer « les risques de déstabilisation et de guerre civile en Syrie ».

La veille, pour son premier voyage à l’étranger depuis sa prise de fonction, Vladimir Poutine avait choisi la Biélorussie et des discussions avec l’autocrate de Minsk, Alexandre Loukachenko, régulièrement mis au ban de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe pour sa répression farouche de toute opposition.

Qu'est-ce qui explique un tel blocage de la Russie sur cette affaire internationale ? D'abord une situation interne tout à fait inédite. Certes réélu dès le premier tour au mois de mars, Poutine se trouve nettement affaibli face à une société qui multiplie les signes de rejet et de défiance. Les manifestations n’ont pas cessé à Moscou depuis son élection. Ces deux dernières semaines, plusieurs centaines de personnes étaient arrêtées dans la capitale. Jeudi 31 mai, pour la désormais traditionnelle « manifestation des 31 » – celle-ci est organisée chaque mois de 31 jours, en référence à l’article 31 de la Constitution qui garantit le droit de manifestation –, une centaine de personnes ont encore été interpellées, dont l’écrivain Edouard Limonov.

 

La peur de toute contagion

Dans le même temps, le pouvoir est en train de faire passer en urgence au Parlement une loi visant à décourager de telles manifestations : les amendes infligées aux organisateurs, en cas d’incidents ou de dépassement du nombre de manifestants (car les organisateurs doivent annoncer à l’avance aux autorités le nombre de manifestants prévu !) seraient décuplées et portées à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Tout cela ne fait qu’entretenir les mobilisations à Moscou, mais aussi dans plusieurs autres villes de Russie.

Cette agitation, même si elle reste à ce stade limitée, rend particulièrement nerveux le pouvoir russe. D’abord parce qu’elle est tout à fait inhabituelle. Ensuite parce que Poutine a toujours violemment dénoncé tout ce qui pouvait ressembler aux « révolutions de couleur » (orange en Ukraine, rose en Géorgie, tulipe au Kirghizstan) dans lesquelles il n’a vu que des complots ourdis par les États-Unis. La même méfiance a été exprimée à l’encontre des révolutions arabes, les analystes proches du pouvoir se répandant en analyses alarmistes que l’on peut ainsi résumer :

  • 1-    les islamistes fondamentalistes sont les seuls vainqueurs de ces soi-disant révolutions qui ont abattu des régimes laïcs
  • 2-    les risques de contagion dans le Caucase, en Asie centrale, voire dans les républiques musulmanes du sud de la Russie sont réels. À deux ans des Jeux olympiques de Sotchi, ville proche de plusieurs de ces républiques, dont la fameuse Tchétchénie, pas question de voir resurgir des rébellions.

C’est dire combien Vladimir Poutine n’a, a priori, aucun intérêt à manifester le moindre signe d’assouplissement dans le dossier syrien.« Nous n’avons jamais laissé tomber un ami », aime dire le président russe. Et, dans ce cas précis, les dirigeants russes ont donné tous les gages de soutien à Bachar al-Assad.

Un élément supplémentaire, et il n’est pas à négliger, tient à la permanence de la diplomatie russe et de son personnel. Le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, homme éminemment courtois dont la raffinement fut vanté dans les couloirs de l’ONU lorsqu’il était ambassadeur de la Russie auprès des Nation unies, de 1994 à 2004, est un farouche défenseur de la politique arabe soviétique telle qu’elle est encore enseignée au MGIMO, cette grande école prestigieuse d’où sortent les diplomates russes.

Sergueï Lavrov et Mikhaïl Fradkov avec bachar al-Assad en février.Sergueï Lavrov et Mikhaïl Fradkov avec bachar al-Assad en février.© (dr)

Sergueï Lavrov, mais aussi Mikhaïl Fradkov, ancien premier ministre de Poutine devenu puissant patron des renseignements extérieurs, étaient à Damas en février et ont réitéré toutes les assurances d’un solide soutien à Bachar al-Assad. En ce sens, les deux responsables sont les dignes héritiers d’un homme qui a formé une bonne partie de la diplomatie russe et qui est Evguéni Primakov, ténor de l’époque soviétique, patron du KGB puis éphémère premier ministre de Boris Eltsine, en 1998. Il fut correspondant de laPravdaau Moyen Orient et en poste à Damas durant les années 1970, et est considéré comme l’un des architectes de cette politique arabe de Moscou.

Celle-ci n’a jamais varié, et c’est aussi cette inertie qui porte aujourd’hui Vladimir Poutine et rend périlleux tout changement de ligne à Moscou. La Russie, depuis un an et plus particulièrement depuis le printemps, n’a cessé de livrer des armes au régime syrien. Sous prétexte de renforcer ses forces de sécurité dans son ambassade de Damas mais aussi dans sa base militaire russe de Tartous, sur la côte méditerranéenne de la Syrie (sa seule base militaire hors de l’ancien espace soviétique), Moscou a envoyé des instructeurs et des conseillers militaires, tout comme de nouveaux moyens de renseignements.

 

Déclarations à géométrie variable

Outre les ventes d’armes à la Syrie, qui représentent près de 10 % du total des exportations d’armement russe, de nombreuses entreprises russes sont engagées en Syrie et contribuent à ces étroites relations entre Moscou et Damas (lire ici l’article de Thomas Cantaloube : Les raisons du soutien inconditionnel de Poutine à la Syrie).

Dès lors, le soutien au régime syrien, le refus de toute résolution contraignante contre Damas au conseil de sécurité de l'ONU, où la Russie dispose d’un droit de veto, empêche toute initiative réelle des Nations unies et de la communauté internationale. Certains ont cru voir un sérieux avertissement de Moscou à Bachar al-Assad avec le vote, dimanche, d’une résolution condamnant le massacre d’une centaine de civils, dont des femmes et des enfants, à Houla. Vote aussitôt tempéré par des responsables russes qui ont souligné les propos généraux du texte et, surtout, son caractère non contraignant. Les mêmes expliquaient que Moscou ne pouvait faire moins, soutenant officiellement la mission d’observation menée par Kofi Annan en Syrie ainsi que son plan de transition politique.

Comment faire évoluer la position russe ? Une piste est évoquée depuis plusieurs semaines et a été testée par les diplomates américains. Celle dite du « scénario yéménite ». Il s’agirait de faire en Syrie ce qui a été réussi au Yémen en février : organiser le départ du président Ali Saleh, après trente-trois ans de brutale dictature, en lui trouvant un pays refuge et en lui garantissant une totale impunité ; et organiser un gouvernement de transition recyclant une partie de ses proches.

Selon la presse américaine etThe Moscow Times, et selon plusieurs journaux russes, Barack Obama aurait tenté de “vendre” cette solution à Dmitri Medvedev, le 18 mai lors du sommet du G 8. Deux semaines auparavant, un conseiller du président américain, Thomas Donilon, avait évoqué ce scénario lors d’une rencontre avec Vladimir Poutine à Moscou. Il sera de nouveau discuté, les 18 et 19 juin, lors du sommet du G 20 à Mexico. Ce scénario a-t-il été évoqué par Merkel et Hollande ? Les deux dirigeants européens ont seulement dit fortement leur intention de tenter de faire évoluer la Russie.

À ce stade, les réponses publiques de Moscou peuvent vouloir dire tout et son contraire tant les responsables russes excellent à souffler le chaud et le froid.« La Russie n’est pas obsédée par le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad», avait déclaré Sergueï Lavrov. Le lendemain, le même dénoncait l’opposition syrienne, ramenée à des« groupes terroristes tuant des civils », reprenant ainsi la version du régime syrien.

C’est dire que les propos de François Hollande, mercredi soir sur France 2, ont été fraîchement accueillis à Moscou. Outre son intention affirmée de« convaincre »Vladimir Poutine, François Hollande n’a pas exclu« une intervention armée, à condition qu'elle se fasse dans le respect du droit international, c'est-à-dire dans une délibération du Conseil de Sécurité ». Un conseiller de Vladimir Poutine rétorquait aussitôt qu’il ne s’agissait là que d’« émotions politiques ». De la même manière, les propos du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, demandant à ce que la Cour pénale internationale soit saisie des crimes du régime Assad, ont été accueillis par un silence glacial à Moscou.

L'espoir des diplomates occidentaux tient à leur certitude de voir le régime de Bachar al-Assad tomber un jour ou l'autre. Dès lors, Moscou a tout intérêt à anticiper ce renversement pour pouvoir espérer maintenir une influence dans la région. C'est une hypothèse à laquelle les propos de Vladimir Poutine tenus ce vendredi à Berlin en présence d'Angela Merkel peuvent donner quelque crédit. À moins que l'inverse soit affirmé demain ou dans les jours qui viennent…

 

 

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SOURCE: MÉDIAPART

Publié dans Géo-politique

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